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Le blog de Gloria : Of War and Peace
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Silence en Artsakh

Silence en Artsakh

Crédit photo n.c. Surb Gayane à Etchmiadzin le 5 janvier 2024, Vigile de la Nativité

Crédit photo n.c. Surb Gayane à Etchmiadzin le 5 janvier 2024, Vigile de la Nativité

Crédit photo Mayr Ator Surb Etchmiadzin. Artak Beglaryan (centre) et le diacre Mkrtich Ter Mkrtichyan ce 5 janvier 2023 - Vigile de la Nativité à Surb Gayane.

Crédit photo Mayr Ator Surb Etchmiadzin. Artak Beglaryan (centre) et le diacre Mkrtich Ter Mkrtichyan ce 5 janvier 2023 - Vigile de la Nativité à Surb Gayane.

Aujourd'hui, les Arméniens apostoliques du monde entier célèbrent la Nativité de Jésus, et l'Epiphanie.

Traditionnellement, la Vigile, le 5 janvier, attire d'impressionnantes foules dans les églises de la République d'Arménie.

L'église de Ste Gayané, où j'avais mes habitudes, est toujours très fréquentée car elle accueille les fidèles de la Cathédrale de St Etchmiadzin depuis plusieurs années durant les travaux de restauration. Le Katolikos assiste aux liturgies, et bénit individuellement ceux qui se précipitent avec ferveur pour recevoir cet auguste geste. Lors de la Liturgie de la Vigile, les habitués du lieu voient affluer des personnes qui ne fréquentent habituellement pas Ste Gayané, mais qui en ce jour différent de tous les autres jours, viennent recevoir la Lumière des mains du Katolikos, ou tout au moins la flamme transmise de bougie en bougie, Lumière de la Nativité que chacun prend très à coeur de ramener dans son foyer.

Hier, les messages d'amis et les réseaux sociaux se sont fait plus fébriles que lors des précédentes Nativités. L'église Ste Gayane, et toute la cour du monastère était noire de monde. Elle se remplissait inlassablement, dans des proportions égalées seulement lors des grandes occasions.

En quoi cette nuit était-elle différente de toutes les autres nuits?

Elle était à la fois une nuit de désespoir et d'espoir.

A la Liturgie de la Nativité de Ste Gayané assistait le gouvernement en exil de la République d'Artsakh aujourd'hui rayée de la carte, mais non rayée de la mémoire vive et blessée du monde arménien. La petite église ancienne était remplie d'anciens ministres, avec à leur tête le Président Samvel Shakhramanyan et Artak Beglaryan, ancien ombudsman, ancien ministre d'Etat. Les photos de Ste Gayane hier soir sont éloquentes: la foule est dense et fervente, tandis que les familiers de l'endroit ont accueilli dans leurs rangs de très nombreux réfugiés d'Artsakh. Mais on ne pouvait s'empêcher de penser avec émotion à tous les prisonniers encore retenus à Bakou, dont les huit personnalités politiques d'Artsakh embastillés sans que le monde ne s'émeuve. Suivis et visités par la Croix-Rouge comme tous les autres prisonniers de guerre, ils gardent un contact même ténu avec leurs familles. 

Comme cette Vigile de la Nativité devait être amère pour eux tous!

La Liturgie fut célébrée par Vrtanes Serpazan, que j'ai connu en tant qu'évêque aux armées, nommé ensuite Primat d'Artsakh, et qui a dû, comme tous les autres clercs et fidèles, fuir brusquement en septembre 2023.

Les nombreuses photos qui circulent sur les réseaux sociaux se font l'écho de la piété, de la ferveur, mais aussi de la détresse, des douleurs non dites, mais parfois aussi criées dans un déchirement encore incrédule. Comment accepter que la Cathédrale de Stepanakert, inaugurée en 2019, remplie de fidèles exténués par le blocus, le soir du 5 janvier 2023, tandis que même les pierres criaient avec ces âmes assoiffées, soit aujourd'hui vide, privée de ses croix ôtées des clochers par les Azerbaidjanais, plongée dans le silence. Et d'ailleurs comment accepter que Stepanakert soit devenue une ville fantôme, et que dans tout le pays aucune cloche ne sonne plus pour annoncer la joie de la Nativité? 

Pour la première fois depuis plus de deux millénaires, les montagnes du Haut-Karabakh se sont tues, privées de toute présence arménienne. 

Comment la "communauté internationale" a-t-elle pu laisser faire cela? Comment les médias et leurs spécialistes de plateaux, si prompts à accourir au moindre fait sensationnel, si enclins à disserter, à amplifier, à pontifier, ne se sont que rarement fait l'écho de ce terrible blocus?

Crédit photo Artsakh Press Janvier 2023

Crédit photo Artsakh Press Janvier 2023

Crédit photo Artsakh Press Janvier 2023

Crédit photo Artsakh Press Janvier 2023

Crédit photo Artsakh Press Janvier 2023, Vrtanes Srpazan, Evêque Primat d'Artsakh

Crédit photo Artsakh Press Janvier 2023, Vrtanes Srpazan, Evêque Primat d'Artsakh

Ce début d'année 2024 en Arménie a eu des accents surréalistes. Tout récemment, le Patriarche de l'Eglise Apostolique Arménienne, Garegin II, a été privé d'antenne sur les chaînes de télévisions nationales où les Patriarches successifs délivraient traditionnellement, depuis 1991, leurs voeux de Nouvel An. Hier après-midi, le Premier Ministre Nikol Pashinyan est intervenu pour présenter ses voeux de Nativité, en citant force Psaumes...

Sur un plan politique, la situation est confuse. La République d'Artsakh aurait dû ne plus exister depuis ce 1er janvier 2024, mais, "dans le domaine juridique de la République d'Artsakh, il n'existe pas de document prévoyant la dissolution des institutions gouvernementales", a déclaré Samvel Chakhramanian lors d'une réunion avec d'autres dirigeants à Erevan.

Le décret, "c'est un papier vide", a justifié vendredi à l'AFP le bureau de Samvel Chakhramanian. "Aucun document ne peut conduire à la dissolution de la République qui a été établie par la volonté du peuple", ont encore fait valoir les services du dirigeant. Dans les faits, Samvel Chakhramanian n'a toutefois plus de pouvoir sur le sort de l'enclave depuis l'offensive victorieuse de l'Azerbaïdjan en septembre. Toutefois, selon les dirigeants de la République d'Arménie, la présence sur son territoire d'un gouvernement en exil poserait un grave problème de sécurité intérieure.

Sur un plan pratique, les réfugiés tentent de s'adapter à leur situation, de construire un avenir meilleur, dans les conditions parfois bien difficiles et complexes qu'ils rencontrent, notamment sur un plan juridique. Quid de leur nationalité? S'ils acquièrent la nationalité arménienne, ils renoncent pour toujours à l'éventualité d'un retour, voire au versement des retraites qui leur sont dues, affirment d'aucuns. Certaines familles ont préféré quitter l'Arménie pour la Russie, mais aussi pour d'autres destinations, telle l'Argentine, où ils entendent rejoindre leur famille même éloignée. Les chiffres avancés par Haymed il y a quelques semaines ont désormais grossi, et mon idée que 25000 ressortissants d'Artsakh aient quitté l'Arménie n'est peut-être pas totalement fantaisiste, même si cela demande à être confirmé. 

J'ai sélectionné aujourd'hui quatre liens vers d'intéressants articles :

- Une interview d'un général artsakhiote, le Général Gurgen Harutyunyan par Stéphane Simon sur Factuel, retour sur ce cruel blocus dont nous n'avons peut-être pas réalisé toutes les implications même si nous avons tenté d'alerter.

- Une interview d'Artak Beglaryan, sur Caucasuswatch, en anglais, qui présente un point de la situation.

- Un article de Médecins sans Frontières, en anglais, rend compte des épreuves que traversent aujourd'hui les réfugiés éprouvés par neuf mois de blocus et un déracinement sans précédent par sa soudaineté et sa rapidité,

- Une interview de Pascal Portoukalian sur Infochrétienne, qui rappelle l'importance des racines chrétiennes de l'Arménie, première nation chrétienne au monde. Il souligne la menace à laquelle est exposée cette ancienne nation du Sud-Caucase, qui a traversé les guerres et les invasions des siècles, a survécu au Génocide de 1915, mais se trouve aujourd'hui exposée à une menace très réelle, une menace territoriale à la fois dans le Syunik et dans toute l'Arménie, illustrée par un seul vocable répété à l'envi, très officiellement, par Aliyev et son gouvernement, "l'Azerbaidjan Occidental, capitale Irevan".