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Le blog de Gloria : Of War and Peace
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Vent d'Ouest

Vent d'Ouest

Crédit photo Puy du Fou Productions - Vaincre ou Mourir (2023) - Hugo Becker

Crédit photo Puy du Fou Productions - Vaincre ou Mourir (2023) - Hugo Becker

Un film

Le 25 janvier 2023, un film est venu, par surprise, momentanément attirer l’attention d’un public que tous croyaient endormi.

Vaincre ou Mourir, un long-métrage de Vincent Mottez et Paul Mignot, est produit par Le Puy du Fou, parc à thème dirigé par Nicolas de Villiers. Il a été coproduit avec le soutien de Canal+, le volet cinématographique et télévisuel du Groupe Bolloré, et Sage Distribution, porté par Hubert de Torcy.

Le film qui retrace l’épopée de François-Athanase Charette à la tête de la contre-révolution vendéenne de 1793 à 1796, a été tourné en 18 jours sur site – les Herbiers, Fontenay…- par des acteurs professionnels souvent connus , des figurants du Puy du Fou, avec le soutien du Conseil Départemental de Vendée et de la Région Pays-de-Loire. Le budget était modeste : on évoque 3.5 millions d'euros, ce qui apparaît négligeable en comparaison de longs-métrages sortis en France ces jours derniers, dont les budgets tutoient les 65 millions d’Euros et davantage.

A ce jour – le 10 février 2023 – le film a enregistré environ 200 000 entrées dans toute la France, un résultat considérable en deux semaines pour un long-métrage normalement voué à demeurer plus confidentiel.

Les raisons de cet engouement sont multiples :

  • Des critiques partisanes émanant principalement de la presse de gauche, n'ont pas hésité à donner dans la caricature, les stéréotypes et l’étiquetage « extrême-droite », « soft-power », « propagande royaliste et catholique », et pire encore, ont déferlé. On se demande même en lisant certaines critiques si leurs auteurs ont réellement vu le film en entier. Les seuls noms des producteurs ont visiblement suffi à fermer ces critiques à toute écoute constructive. Le député Alexis Corbière du mouvement politique La France Insoumise y est même allé d’une tribune incendiaire, délaissant un instant les nombreux dossiers autrement brûlants du moment. Ces critiques ont réellement contribué à attiser la curiosité du public.

 

  • « Un film qui fait du bien », telle était la remarque d’une spectatrice, lasse des autres longs-métrages idéologiquement orientés, voire « wokistes ». Des valeurs peu représentées dans l'expression cinématographique s’affirment ici : le courage, le respect, l’honneur, le panache… Un long-métrage différent des problématiques actuellement traitées à l'écran. Un film français tourné en France sur les sites où se sont produits les événements, une lecture cinématographique linéaire du récit national, « un film à voir avec ses ados », conseillent certains commentaires. Francis Renaud, l'un des acteurs, renchérit sur RCF Normandie : "Les profs devraient aller voir le film avec leurs classes." Il a d'ailleurs pris contact avec le ministre de l'Education Nationale à ce sujet.

 

  • Ici, on traite d’un aspect historique méconnu, voire occulté dans les programmes scolaires de la Révolution de 1789. Je confirme : j’ai étudié la Révolution Française par cinq fois (école primaire, collège, lycée, hypokhâgne et khâgne), sans que mes professeurs, ni « les programmes », ne s’attardent sur des faits qui pourtant s’étaient déroulés… parfois à une centaine de kilomètres de là, voire encore plus près. Citons, à titre d'exemple, le débarquement de Quiberon. Nombreux, pourtant, étaient les lieux de mémoire : les Halles d’Auray, la plaque commémorative des fusillades dans les actuels jardins de la Garenne à Vannes, la "Pointe des Emigrés" à Keravelo, autre lieu d'exécutions à Vannes, à seulement quelques kilomètres de mon lycée. Se mêlaient indistinctement dans nos esprits les notions de chouannerie et de contre-révolution vendéenne, sans avoir une idée de l’ampleur à la fois géographique et humaine du désastre. En classes préparatoires, nous étions souvent « charrette », c’est le cas de le dire, très appliqués à ingurgiter parfois jusqu’au bout de la nuit dates et faits majeurs, le Comité de Salut Public, la Constitution Civile du Clergé, la fuite à Varennes, l’exécution de Louis XVI et de sa famille. Nous nous efforcions de tout savoir sur le bout des doigts, sans que le temps et l’énergie ne nous soient accordés de nous documenter plus avant, tellement les autres matières exigeaient que nous leur consacrions le même empressement. Pris dans l'étau de la préparation du concours, tout juste avions-nous le temps de penser. Ainsi, de nombreux spectateurs, munis ou non d’un bagage historique, cultivés ou simplement curieux, ont exprimé leur satisfaction d’avoir pu lire, même vivre, en ce film, un pan de l’Histoire.

 

  • Sans publicité, ni affiches ni en ville, ni parfois même au fronton des cinémas, mais grâce aux réseaux sociaux – ceux qui ont vu et aimé ce film s’en sont volontiers fait les hérauts. Les spectateurs ont partagé leurs impressions : émotion, enthousiasme, silence, reconnaissance. Ainsi, certaines salles obscures, mises à mal durant la crise Covid, ont projeté ce film susceptible d’augmenter leur chiffre d’affaires et d’inciter, qui sait, les spectateurs à revenir au cinéma.

 

Vaincre ou Mourir est donc un film historique, qui a réussi à concentrer en 1h40 une partie essentielle des Guerres de Vendée sans prétendre être exhaustif. Destiné à l’origine du projet à être un docu-drame pour la télévision, le film est précédé, avant le titre, par l’intervention brève d'historiens spécialistes du sujet, et le générique de fin mentionne le nom des chercheurs qui ont apporté leur expertise lors du tournage. Reynald Sécher, notamment, originaire de La Chapelle Basse-Mer en Loire-Atlantique, a fait des Guerres de Vendée l’affaire de sa vie et le sujet de recherches très documentées.  Ce prologue au film, et la signature de chercheurs au générique, vient donc apporter des précisions et une caution historique utile – ce qui est parfois aussi vertement critiqué dans la presse de grand chemin, qui objecte que ces historiens sont orientés idéologiquement tendance droite nationale et catholique, voire royaliste. Mais Albert Soboul, communiste, éminent spécialiste reconnu de la Révolution durant des décennies, titulaire d'une chaire à la Sorbonne, n’était-il pas lui-même, ainsi que ses collègues de son temps,  orienté idéologiquement vers une lecture marxiste de cette période charnière de notre histoire ? Lecture teintée de marxisme qui, du reste, a longtemps été - est toujours? - également celle de maints professeurs des classes préparatoires à l'Ecole Normale Supérieure, et des universités.

Cependant, l’un des intervenants - qui expriment chacun leur opinion sur les faits - précise avant tout que la Révolution était souhaitée, et bien accueillie à ses débuts par la population qui avait participé à la rédaction des Cahiers de Doléances menant à la tenue des Etats Généraux. Par la suite, les habitants des provinces, ajoute-t-il, exprimèrent leur déception.

Cette remarque en préambule vient nuancer l’idée selon laquelle Vaincre ou Mourir serait un document hagiographique. Dans cet esprit, les Blancs (troupes royalistes) seraient-ils les gentils, et les Bleus (armée républicaine) seraient-ils les méchants ? Si l’Histoire prouve que les armées nées de la Révolution, emmenées par des généraux valeureux, ont été dépêchées dans l’Ouest pour « mater les brigands », certaines scènes du film montrent que rien n’est manichéen.

Les personnages, en effet, évoluent. Les lieutenants de Charette sont tués, d’autres, épuisés, brisés, refusent de le suivre. Le scepticisme de ses proches au moment de la signature de la paix à la Jaunaye apparaît clairement. Charette est amené, nous le voyons dans le film, cela est attesté par des exactions commises sous ses ordres, à faire exécuter des prisonniers. Ce personnage incarné par Hugo Becker, dont le jeu s’affine au cours du film, lance : « La guerre nous fait devenir ce que nous ne sommes pas ».

L’Adjudant-Général Travot, remarquablement interprété par Gregory Fitoussi, en vient peu à peu à exprimer, avec une retenue empreinte de respect et d’émotion, une certaine admiration pour Charette. Les répliques de ces deux personnages, au moment de l’arrestation de Charette à la Chabotterie, figurent dans Le Roman de Charette, par Philippe de Villiers.

Ce long-métrage offre un regard différent sur cette guerre à nulle autre pareille que l’historiographie n’a pas toujours évoquée. Bien des historiens privilégient ce terme de « guerre » mis en exergue à la fois dans le narratif révolutionnaire et contre-révolutionnaire, révélateur de la spécificité des soulèvements de l’Ouest par rapport aux autres rébellions méridionales et lyonnaises. A ce titre, Vaincre ou Mourir mérite d’être vu avant de se faire une idée de la situation.

En conclusion, ce film émeut, ce film éclaire et il se vit, plus qu’il ne se regarde.

Crédit photo Alexandre Lamoureux - le Bocage Vendéen

Crédit photo Alexandre Lamoureux - le Bocage Vendéen

Vendée

Par « Vendée », on entend non uniquement le département éponyme, mais la Vendée dite Militaire : une zone recouvrant, outre la Vendée, également le sud de la Loire-Inférieure (actuelle Loire-Atlantique), le Maine-et-Loire, le nord des Deux-Sèvres, appelée « le Bocage ».

Victoire de Donnissan, Marquise de la Rochejacquelein précise dans ses Mémoires (1814) :

Le Bocage comprend une partie du Poitou, de l'Anjou et du comté Nantais, et fait aujourd'hui partie de quatre départemens: Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Deux-Sèvres et Vendée. On peut regarder comme ses limites, la Loire au nord, de Nantes à Angers; au couchant, Paimboeuf, Pornic et leurs territoires marécageux; ensuite l'Océan depuis Bourgneuf jusqu'à Saint-Gilles; des autres côtés, une ligne qui partirait un peu au-dessus des Sables, et passerait entre Luçon et la Roche-sur-Yon[2], entre Fontenay et la Châtaigneraie, puis à Parthenay, Thouars, Vihiers, Touarcé, Brissac, et viendrait aboutir à la Loire, un peu au-dessus des ponts de Cé. La guerre s'est étendue au-delà de ces limites, mais par des incursions seulement. Le pays de l'insurrection, la vraie Vendée, est renfermé dans cet espace.

Si les soulèvements prennent de l’ampleur en 1793 – Quatre-Vingt-Treize n’est-il pas d'ailleurs le titre d’un roman de Victor Hugo ? – et perdurent jusqu’en 1796, s’étiolant parfois sous forme de guérilla, des séismes contre-révolutionnaires frémissent, par moments, bien plus tard, avec des répliques en 1832, voire jusqu’en 1840.

Le Bocage, rappelle Madame de la Rochejacquelein, est un terrain généralement plat ou peu vallonné, truffé de bosquets ou de forêts – sans de réels promontoires qui permettraient de surveiller toute la contrée, principalement tissée de champs bordés de haies. Celles-ci sont taillées périodiquement, mais ces talus, tous semblables, plantés d’arbrisseaux ou d’arbres permettent et de se dissimuler, et de se perdre. La région ne comporte pas, à l’époque, de villes réellement grandes, mais elle est parsemée de bourgades de diverses importances.

Les chemins du Bocage sont tous comme creusés entre deux haies; ils sont étroits, et quelquefois les arbres, joignant leurs branches, les couvrent d'une espèce de berceau; ils sont bourbeux en hiver et raboteux en été. Souvent, quand ils suivent le penchant d'une colline, ils servent en même temps de lit à un ruisseau; ailleurs ils sont taillés dans le rocher et gravissent sur les hauteurs par des degrés irréguliers: tous ces chemins offrent un aspect du même genre. Au bout de chaque champ on trouve un carrefour qui laisse le voyageur dans l'incertitude sur la direction qu'il doit prendre et que rien ne peut lui indiquer. Les habitans eux-mêmes s'égarent fréquemment, lorsqu'ils veulent aller à deux ou trois lieues de leur séjour.

Enfin, le tissu social est avant tout rural. La population est paysanne et attachée aux traditions d’un terroir bien ancré dans la pratique catholique. Louis-Marie Grignon de Montfort, originaire de Montfort-sur-Meu, Ile et Villaine, mort à St Laurent sur Sèvre en 1716, a prêché maintes missions dans ce que l’on appelle aujourd’hui le « Grand Ouest » et a contribué à l’enracinement profond de la foi. Ainsi, le Sacré-Cœur de Jésus s’impose, dans le combat des Vendéens, comme leur emblème, ainsi que la bannière blanche « Pour Dieu et le Roy ».

Aucun gouffre ne sépare les paysans et les prêtres, ni les paysans et les nobles. Les hobereaux locaux vivent parfois chichement dans des demeures manoriales à des années-lumière de Versailles et de ses fastes. Les documents des années 1780 renvoient généralement l’image d’une relative bonne entente générale des différentes couches de la population, d’une relation de confiance des communautés rurales envers la noblesse locale et les prêtres des paroisses, tout au moins dans l’Ouest mais aussi dans d’autres régions, tel que le décrit Pierre Gaxotte. Cet état d’esprit transparaît dans Le Roman de Charette, mais il ressort en particulier dans les Mémoires de Madame de la Rochejacquelein :

Ces heureuses habitudes, se joignant à un bon naturel, font des habitans du Bocage un excellent peuple: ils sont doux, pieux, hospitaliers, charitables, pleins de courage et de gaieté; les moeurs y sont pures; ils ont beaucoup de probité. Jamais on n'entend parler d'un crime, rarement d'un procès. Ils étaient dévoués à leurs seigneurs, avec un respect mêlé de familiarité. Leur caractère, qui a quelque chose de sauvage, de timide et de méfiant, leur inspirait encore beaucoup plus d'attachement pour ceux qui depuis si long-temps avaient obtenu leur confiance.

Crédit photo Musée d'Art et d'Histoire Angers - Huile sur toile de Paulin Guérin - François-Athanase Charette de la Contrie (1819)

Crédit photo Musée d'Art et d'Histoire Angers - Huile sur toile de Paulin Guérin - François-Athanase Charette de la Contrie (1819)

Révolution

On comprend dès lors que, dans la Vendée Militaire comme sur tout le territoire, la Révolution a été un choc. « Il y a eu un avant, et un après », souligne Reynald Sécher en préambule au film.

Même si l’historien semble par ces mots enfoncer des portes ouvertes, il a principalement voulu attirer l'attention du public sur le moment révolutionnaire. La Révolution de 1789 a indéniablement causé un séisme en France, par sa radicalité, sa brutalité. Mais elle a été perçue ainsi à l’étranger où l’opinion publique, les intellectuels et les hommes politiques, ont été saisis, le 21 janvier 1793 par l’exécution de Louis XVI puis de sa famille. La glaçante Terreur occasionne d'innombrables victimes.

Parallèlement aux douleurs de l’enfantement révolutionnaire, des conflits grondent à l’Est et dès le 1er février 1793, la France déclare la guerre à l’Angleterre et aux Provinces Unies (1ère Coalition). Une vaste conscription, lancée dès mars 1793 sur le territoire, est la cause déclenchante de soulèvements locaux bientôt réprimés dans toutes les régions.

Dans l’Ouest, la levée des trois cent mille hommes met indéniablement le feu aux poudres, mais la cause profonde est principalement la liberté de culte et de pensée, liberté durement outragée. Initialement, les insurgés sont loin de nourrir quelque velléité contre-révolutionnaire. Il ne s'agit pour eux que de défendre bec et ongles leurs ancrages les plus chers : leurs familles, leur vie quotidienne, leurs traditions, leurs clochers - dont très vite la République confisque les cloches pour les fondre -, leur foi chrétienne et non un simulacre.

Philippe de Villiers, invité dans l’émission d’Aymeric Pourbaix « En quête d’esprit » du dimanche 29 janvier 2023 sur CNews, est convaincu que les Vendéens « se sont battus contre une nouvelle religion, un homme nouveau non au sens paulinien, mais un homme nouveau jacobin, une religion de l’homme sans Dieu. »

En effet, la Constitution Civile du Clergé du 12 juillet 1790 suivie peu après du Serment des Prêtres, a imposé aux religieux un acte de soumission à la République. La moitié des prêtres a refusé d’adhérer, préférant la clandestinité ou la déportation (les Pontons de Rochefort) et la mort, à la compromission et au reniement de la foi. Dès lors s’opère la distinction entre prêtres constitutionnels « jureurs » et prêtres réfractaires. Comme le Père Gaschon à Ambert en Livradois-Forez, certains sont amenés à prendre le maquis, ou à se cacher dans des familles qui risquent, dès 1793, leur vie en les accueillant. Ils célèbrent la messe dans des granges ou dans les bois. Certaines municipalités donnent raison aux prêtres, mais en général l’Administration répond avec une très grande dureté.

Philippe de Villiers évoque ainsi la perte de repères présents depuis longtemps, le bouleversement idéologique :

-la stratégie de la table rase, la désaffiliation

-l’idée folle du recommencement absolu, la régénération, une idée biblique corrompue, cette régénération qui conduit à vouloir effacer l’ancien monde.

Non sans une certaine verve et son sens des formules, il s’écrie avec emphase :  « C’est le mystère des consciences dressées, ce sont les Vendéens qui ont sauvé la liberté de penser. »

Les paysans sont indignés par la levée, ces tirages au sort qui emmènent principalement les jeunes hommes sur les théâtres de guerre, privant ainsi les fermes de leur bras. Mais ces recrutements épargnent notables et agents municipaux favorisés par leurs relations. Les communautés rurales se tournent alors vers ceux en qui ils ont confiance, les nobles, souvent mieux formés à l'art militaire, et les prêtres, gardiens de leurs âmes, dont ils ne peuvent par tradition se dissocier. Les paysans savent que seuls, ils ne peuvent lutter contre ce qui est, à l'époque, la meilleure armée du monde.

 

Crédit photo PHystorique Les Portes du Temps (Blog)-La Chabotterie

Crédit photo PHystorique Les Portes du Temps (Blog)-La Chabotterie

Guerres

Madame de la Rochejacquelein souligne que ces soulèvements sont non concertés, spontanés et concernent un très vaste territoire :

Le recrutement des trois cent mille hommes fut la cause d'un soulèvement presque général dans le Bocage. Ce mouvement prit d'abord de l'importance sur deux points assez éloignés, Challans, dans le Bas-Poitou, et Saint-Florent, en Anjou, sur les bords de la Loire. Il n'y eut aucun concert entre ces deux révoltes; on fut même très-long-temps sans savoir dans un de ces cantons ce qui se passait dans l'autre.

Armés initialement de faux et de fourches, de frondes et de piques, les paysans vont chercher les nobles en leurs châteaux : ainsi François-Athanase Charette de la Contrie, Henri de la Rochejacquelein, Monsieur de Lescure, Monsieur d’Elbée et tant d’autres répondront à l’appel, mais conduisent des actions séparées. Ceci s’avère une force, par l’ubiquité des rébellions, qui, plus d’une fois, désarçonnent les soldats républicains, mais aussi une faiblesse, par le manque de cohésion et d’unité – voire, tôt ou tard, par le jeu de rivalités.

Des femmes aristocrates se joignent à Charette : Adelaïde de la Rochefoucauld, mais aussi Céleste Bulkeley, née Talour de la Cartrie, épouse en secondes noces d’un ancien officier irlandais lui-même participant aux actions vendéennes.  Céleste, qui mourut en 1832, fut l’héroïne de manuels scolaires du 19ème siècle qui, par périodes, traita les Guerres de Vendée avec un plus grand intérêt que ne le fit le 20ème siècle. Ces deux « Amazones », figurent parmi les six femmes présentes dans l’armée de Charette.

Les premiers assauts surprennent les troupes républicaines. Celles-ci, composées de soldats venus de toutes parts du pays, sont souvent mises en échec par la topographie, mais aussi par le professionnalisme militaire, l'expertise stratégique et la détermination des chefs vendéens, et la rapide augmentation des effectifs des insurgés. On ne peut parler de front uni et homogène, mais de batailles disséminées et d’assauts inopinés sur le territoire.  Des villes de l’Ouest sont prises, des prisonniers sont faits, des soldats républicains se rallient aux Vendéens – tel l’Alsacien Pfeiffer, personnage du film inspiré d’un combattant éponyme. On se procure des armes, des munitions, de la poudre, et bientôt les états-majors s’interrogent sur la réponse à donner à ces premiers assauts victorieux.

Quand le pouvoir central conduit par Robespierre, alors à la tête du Comité de Salut Public, pouvoir exécutif de l'ordre nouveau, comprend les risques de déstabilisation de ce mouvement aux allures de contre-révolution qui prend de l’ampleur, des moyens plus radicaux sont mis en oeuvre.

On augmente les effectifs militaires, on déploie des régiments revenus de Mayence, connus pour leur intrépidité , on édicte des lois.

Un premier texte est voté le 1er août 1793 par la Convention Nationale, sous forme de « décret relatif aux mesures à prendre contre les rebelles de Vendée » dit « Loi d’Anéantissement » ou « Loi du 1er août 1793 ».

Ce jour-là, Barère fait, au nom du Comité de Salut Public, un discours pour le moins explicite dont voici un extrait.

"Les conquêtes et perfidies des puissances étrangères seront nulles le jour que le département de la Vendée aura perdu son infâme dénomination et sa population parricide et coupable. Plus de Vendée, plus de royauté ; plus de Vendée, plus d’aristocratie ; plus de Vendée, et les ennemis de la République ont disparu. (…) Ordonnez que cette garnison [de Mayence] se rendra en poste dans les forêts de Vendée ; l’honneur français les appelle ; le salut de la république leur commande ; et le retour de Mayence ne se fera pas sans gloire, alors que la Vendée aura été détruite. (…) Que les soldats de la république pensent qu’ils attaquent de lâches brigands et des fanatiques imbécilles ; qu’ils pensent à la république, et la victoire sera à eux."

Source: L'Ancien Moniteur, Tome XVIII, 1847

 

Tout le vocabulaire de ce texte vindicatif est à l’avenant : « race rebelle », « brigands » dont on entend « faire disparaître les repaires, incendier les forêts, couper les récoltes », « plaies gangréneuses » où « la médecine » entend « porter le fer et le feu », à Mortagne, Cholet et à Chemillé…

Il s’agit bien, dès lors, malgré d’illusoires apparences de clémence envers « les femmes, les enfants et les vieillards », d’anéantir la population et de détruire ses moyens de subsistance.

 

Décret relatif aux Mesures à prendre contre les Rebelles de la Vendée du 1er août 1793

Article 1er. Le ministre de la guerre donnera sur-le-champ les ordres nécessaires pour que la garnison de Mayence soit transportée en poste dans la Vendée. Il sera mis à cet effet à la disposition du ministre de la guerre, trois millions pour l'exécution de cette mesure.

Article 2. Il sera procédé à l'épurement de l'état-major et des commissaires des guerres de l'armée des Côtes de la Rochelle, pour leur substituer des officiers généraux et des commissaires d'un patriotisme prononcé.

Article 3. Les généraux de l'armée des Côtes de la Rochelle tiendront la main à l'exécution rigoureuse des lois rendues contre les déserteurs, les fuyards, les traîtres et ceux qui jettent les armes et vendent leurs habits.

Article 4. L'organisation des compagnies des pionniers et des ouvriers sera accélérée ; ils seront choisis dans les communes les plus patriotes.

Article 5. Les généraux feront un choix pour former des corps de tirailleurs et de chasseurs intrépides.

Article 6. Il sera envoyé par le ministre de la guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts.

Article 7. Les forêts seront abattues; les repaires des rebelles seront détruits; les récoltes seront coupées par les compagnies d'ouvriers, pour être portées sur les derrières de l'armée, et les bestiaux seront saisis.

Article 8. Les femmes, les enfans et les vieillards seront conduits dans l'intérieur. Il sera pourvu à leur subsistance et à leur sûreté, avec tous les égards dus à l'humanité.

Article 9. Il sera pris des mesures par le ministre de la guerre, pour préparer tous les approvisionnemens d'armes et de munitions de guerre et de bouche de l'armée qui, à une époque prochaine, fera un mouvement général sur les rebelles.

Article 10. Aussitôt que les approvisionnemens seront faits, que l'armée sera réorganisée, et qu'elle sera prête à marcher sur la Vendée, les représentans du peuple concerteront avec les administrations des départemens circonvoisins qui se sont maintenus dans les bons principes, pour faire sonner le tocsin dans toutes les municipalités environnantes, et faire marcher sur les rebelles les citoyens depuis l'âge de seize ans jusqu'à celui de soixante.

Article 11. La loi qui expulse les femmes de l'armée, sera rigoureusement exécutée : les généraux en demeurent responsables.

Article 12. Les représentants du peuple, les généraux veilleront à ce que les voitures d'équipage à la suite de l'armée soient réduites au moindre nombre possible, et ne soient employées qu'au transport des effets et des matières strictement nécessaires.

Article 13. Les généraux n'emploieront désormais pour mot d'ordre que des expressions patriotiques et que les noms des anciens républicains ou des martyrs de la liberté, et dans aucun cas le nom d'aucune personne vivante.

Article 14. Les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la république; il en sera distrait une portion pour indemniser les citoyens qui sont demeurés fidèles à la patrie, des pertes qu'ils auroient souffertes.

Article 15. Le présent décret sera envoyé sur-le-champ au conseil exécutif, au ministre de la guerre et aux représentans du peuple près l'armée des Côtes de la Rochelle.

 

Source : Guillaume Lallement, Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale, Tome XIII, 1820

La Loi du 1er octobre 1793, dite « Loi d’Extermination » fait monter la tension d’un cran, car elle a pour objet d’employer la nouvelle Armée de l’Ouest à « exterminer les brigands de l’intérieur ».

Barère, encore, commet un discours virulent, que je cite intégralement, tant il est édifiant, et retrace le déroulé des faits sur le terrain, dans la vision du Comité de Salut Public.

 

Rapport de Bertrand Barère sur la Vendée, fait au nom du Comité de salut public, dans la séance du 1er octobre.

« Citoyens, l'inexplicable Vendée existe encore, et les efforts des républicains ont été jusqu'à présent insuffisants contre les brigandages et les complots de ces royalistes. La Vendée, ce creuset où s'épure la population nationale, devrait être brisé depuis longtemps, et il menace encore de devenir un volcan dangereux.

Vingt fois, depuis l'existence de ce noyau de contre-révolution, les représentants, les généraux, et le comité lui-même, d'après les nouvelles officielles, vous ont annoncé la destruction prochaine de ces fanatiques. De petits succès de la part de nos généraux étaient suivis de grandes défaites ; trois fois victorieux dans de petits postes, chacun d'eux a été vaincu dans une forte attaque.

Les brigands de la Vendée n'avaient ni poudre, ni canons, ni armes ; d'un côté, l'Anglais, par ses communications maritimes ; de l'autre, nos troupes, tantôt par leur défaite, tantôt par leur fuite, tantôt par des événements qui ressemblent à des intelligences concertées entre quelques soldats, quelques charretiers et les vendéistes, leur ont fourni de l'artillerie, des munitions et des fusils. L'armée que le fanatisme a nommée catholique royale parait un jour n'être que peu considérable; elle paraît formidable le lendemain. — Est-elle battue, elle devient comme invisible ; a-t-elle du succès, elle est immense. La terreur panique et la trop grande confiance ont tour à tour nombre avec une égale exagération nos ennemis. C'est une sorte de prodige pour des imbéciles ou des lâches; c'est un rassemblement très fort, mais non pas invincible pour un militaire; c'est une chasse de brigands, et non une guerre civile pour un administrateur politique.

Cette armée catholique royale, qu'on a portée longtemps à quinze,à vingt-cinq, à trente mille, est aujourd'hui, par le rapport des représentants du peuple près les côtes de Brest, d'environ cent mille Brigands. On croyait qu'il n'existait qu'une armée, qu'un rassemblement; aujourd'hui l'on compte trois armées, trois rassemblements.

Les brigands, depuis dix ans jusqu'à soixante-six, sont mis en réquisition par la proclamation des chefs; les femmes sont en vedette. La population entière du pays révolté est en rébellion et en armée. Nous aurions une juste idée delà consistance de cette armée de révoltés, en énumérant les différents districts qu'elle occupe, à quelques réfugiés près.

On croyait pouvoir les détruire vers le 5 septembre; le tocsin avait réuni vers le même but un nombre prodigieux de citoyens de tout âge. Le pays s'était mis tout entier en réquisition avec ses piques, ses faux, les instruments même de labourage, et aveu des subsistances pour quelques jours. Des contingents prodigieux par leur nombre autant que par la difficulté de les mouvoir, de les armer, de les approvisionner; des contingents nombreux, depuis Angers jusqu'à Tours, et depuis Poitiers jusqu'à Nantes, semblaient annoncer que la justice nationale allait enfin effacer le nom delà Vendée du tableau des départements de la république. Les contingents bivouaquaient ; les uns gardaient le côté droit de la Loire, les autres devaient appuyer et renforcer les colonnes de nos troupes.

Jamais, depuis la folie des croisades, on n'avait vu autant d'hommes se réunir spontanément qu'il y en a eu tout-à-coup sous les drapeaux de la liberté, pour éteindre à la fois le trop long incendie de la Vendée. Mais, soit par défaut d'ensemble dans l'exécution des mesures et du plan de campagne, soit par toute, autre cause que nous rechercherons plus sévèrement quand nous pourrons rapprocher tous les faits jusqu'à présent désavoués ou contradictoires, la vérité est que les citoyens des contingents ont été ralentis, décourages par le non emploi ; que les contingents se sont fortement nui par leur masse, se sont nui par le manque de subsistances, ou par leur mauvaise et inégale distribution.

On n'a pas su, on n'a pas pu en tirer le parti convenable pour frapper un grand coup et taire une guerre d'irruption, au lieu d'une attaque de tactique.

La terreur panique, qui a toujours perdu et vaincu sans retour les grandes masses; la terreur panique a tout frappé, tout effrayé, tout dissipé comme une vapeur; la journée du 18 a été désastreuse.

Un plan de campagne avait été conçu et longtemps discuté, et le partage d'opinions survenu dans le conseil de guerre au commencement avait été vidé par l'évocation du comité, qui avait pensé, après une longue discussion, que le principal moyen était de garantir les bords de la mer et d'empêcher toute communication des rebelles avec les Anglais.

Le comité était fondé dans cette opinion principale sur ce qu'il fallait garantir d'abord Nantes des brigands qui s'y portaient sans cesse; ensuite la ville de Nantes contre Nantes elle-même, c'est-à-dire contre l'avarice de quelques citoyens, l'aristocratie de quelques autres, et la malveillance de quelques fonctionnaires publics; le comité avait appris par le représentant du peuple Goupilleau, que le 15 août ; pendant toute la nuit et la journée suivante, une partie de l'armée de la république avait entendu les signaux en mer, les coups de canon répétés à onze heures, à une heure et à trois heures, et de même pendant toute la nuit. Le comité avait appris depuis cette époque que les représentants du peuple à Nantes avaient les preuves de la communication des rebelles avec les Anglais, et que plusieurs fois les fanatiques de la Vendée s'étaient plaints, au commencement du mois d'août, de ce que les Anglais ne leur envoyaient pas les six mille hommes qu'ils leur avaient promis.

Il résulte d'un rapport communiqué par le ministre de la marine, et fait par un marin nommé J.-B. Sanat, venant d'Angleterre, où il a été amené prisonnier, en revenant de Cayenne, sur le navire le Curieux, de Rochefort, il en résulte qu'on connaît à Portsmouth, dans l'intervalle de vingt-quatre heures, tout ce qui se passe à Nantes et dans la Vendée, et qu'on recevait des nouvelles et de l'argent pour les émigrés par le moyen de bateaux pêcheurs français qui vont débarquer à Jersey et Guernesey.

Le comité était appuyé sur la considération majeure des manœuvres pratiquées dans le port de Brest, et de l'esprit de. fédéralisme répandu dans les départements de la ci-devant Bretagne. Il a donc fallu porter toute son attention vers Nantes ; il a fallu renforcer cette portion de l'armée des côtes de Brest, qui devait garantir la partie-si intéressante de l'Ouest, et chasser, avec une armée agissante, les brigands qui attaquaient sans cesse la ville de Nantes.

Quarante mille citoyens ont fui devant cinq mille brigands, et la Vendée s'est grossie de cet incroyable succès. La mort de plusieurs pères de famille a jeté la stupeur dans les contingents, et le général Rossignol écrivait, le 22 septembre, au général Canclaux : « Les contingents n'existent plus; on n'a pas su en tirer parti; ils sont plus nuisibles qu'utiles dans ce moment. On se tient sur la défensive à Saumur, aux Ponts-de-Cé; on ne peut faire aucun mouvement. »

Quant au côté d'Ancenis, le tocsin aurait appelé des auxiliaires de la Vendée, et non pas des défenseurs de la liberté. Le représentant Meaulde s'est vu forcé d'y contenir les amis secrets des rebelles vendéistes, et de faire briller publiquement des drapeaux blancs.

C'est d'après ces notions essentielles et ces motifs puissants que l'on a vu l'armée partant de Mayence se porter vers Nantes pour attaquer efficacement, quoiqu'un peu plus tard, les rebelles de Mortagne et de Cholet. Les troupes de cette garnison ont été, puisqu'il faut le dire, la pomme de discorde des deux divisions militaires des côtes de Brest et des côtes de La Rochelle. Chaque général voulait commander les troupes disciplinées sortant de Mayence; chacun pensait être victorieux avec ces seize mille hommes joints aux forces qu'il commandait auparavant. On se divisait sur ce point, et la république seule en a souffert.

Au moment où le conseil de guerre fut tenu à Saumur, le 2 septembre, sur les moyens d'employer la force venue de Mayence, tous les représentants reconnurent que les rebelles étaient aux portes de Nantes, et que là étaient les grands dangers si les rebelles avaient pu prendre les Sables et s'approcher des départements maritimes voisins, dont l'esprit n'est pas bon pour lu république.

Après être partis de Saumur, les représentants arrivent au moment où les rebelles attaquaient Nantes pour la quatrième fois depuis la fin d'août. Ils avaient été repoussés déjà avant l'arrivée des forces de Mayence.

Les dispositions en étaient faites ; la division commandée par Beysser, du côté de Machecoul, laquelle montait vers la rive gauche de la Loire, après avoir balayé la partie qui lui était désignée, devait se réunir aux troupes venues de Mayence, dans le bourg de Torfou. Les chemins mauvais, les abattis, et peut-être des trahisons ont empêche l'exécution de cette mesure.

D'ailleurs, comme la vérité est le premier tribut que le comité doit à la confiance dont la Convention l'a investi, il faut dire qu'une partie de nos troupes n'a pas conservé dans sa marche les mœurs que doivent avoir les armées de la république.

On a pillé à Torfou en reconnaissant ce poste, et, pendant le pillage, les soldats ont été cernés et très fortement maltraités par les brigands. Le bataillon de la Nièvre, qui était à son poste, et qui gardait les canons, a été investi par les brigands; il a été étonné du nombre et de l'impétuosité des assaillants. II a plié, et les canons ont été pris. Vous avez déjà appris par les détails de celle journée que le revers a été réparé dans la même journée par les mêmes troupes en avant de Clisson, lorsque le corps d'armée a repoussé l'ennemi.

Ici se présente la journée, des rebelles, celle dont les succès ont étonné un instant les troupes ; c'est la journée du 19 septembre dont je veux parler. Ce jour-là, les troupes de Mayence se battaient a Torfou avec grand échec; ce jour-là, les troupes de Mayence se battaient à Paloy, aux portes de Nantes, avec grand succès.

Le même jour, les troupes aux ordres de Rossignol étaient repoussées de Vihiers par les brigands; et, quoique la division de Santerre fût forte de nombreuses réquisitions, elle était entièrement battue à Coron ; elle a perdu son artillerie ; des pères de famille sont restés sur le champ de bataille, et la terreur a frappé les contingents.

Que produisit cette triste journée, outre les malheurs qu'elle éclaira? Elle produisit des plaintes, des soupçons entre les chefs. Ils écrivaient de Saumur pour se plaindre de ce que les brigands étaient renvoyés vers cette partie, tandis que les troupes de Mayence étaient cependant à se battre aussi, ainsi que la division de Beysser, contre d'autres rassemblements de brigands, à la fois a Torfou, à Mortagne et à Montaigu. La défaite de Saumur n'a donc pas été un contre-coup, mais une défaite.

C'est à Montaigu que Beysser était battu, et qu'il lui devenait impossible dé faire sa jonction avec les troupes de Mayence à Boussai, où il était attendu. La déroute de Beysser avait aussi des suites factieuses; car elle a produit l'échec de la division de Mikouski, qui était au moment d'opérer sa jonction à Saint-Fulgent avec la colonne commandée par Beysser.

Les plaintes du côté de Saumur ont dû cesser alors que les représentants du peuple écrivent de Clisson, le 22 septembre, qu'il existe une année de cent mille brigands, dont cinquante mille bien armés.

Le 24, les représentants du peuple à Saumur leur répondent que les divisions d'Angers et de Saumur ne peuvent que se tenir sur la défensive. Alors les représentants du peuple près les troupes de Mayence se sont occupés de rétablir les communications avec Mantes; ainsi tout n'a pas été en pure perte pour la république. Les troupes de Mayence ont préservé Mantes contre les brigands, Nantes contre Nantes; elles ont préservé surtout les départements de la ci-devant Bretagne.

Tels sont les résultats sommaires de la correspondance reçue par le comité, de toutes les journées; tels sont les résultats que le comité a obtenus des conférences qu'il a eues avec le général Ronsin, et dimanche avec Rewbell et Turreau, représentants du peuple, arrivés de la Vendée dans la nuit.

Le tableau des malheurs de la patrie, qui réjouit l'aristocratie, qui contente le modéré, n'est qu'une leçon pour l'administrateur public, et un motif de courage pour le républicain.

Pour prendre dans l'affaire de la Vendée l'attitude ni convient à la Convention nationale, elle doit d'abord jeter un coup-d'œil rapide sur les progrès, et ensuite sur le dernier état.

Voici un aperçu rapide.

Conspiration commencée par La Rouerie, et qui se rattache à de farouches complots plus profonds, et que le temps ne couvrira pas toujours.

Conspiration mal déjouée, mal suivie par le conseil exécutif d'alors.

Il fallait brûler la première ville, le premier bourg, le premier village qui avait fomenté la révolte. — Une ville en cendres coûte moins qu'une Vendée, qui absorbe les armées, les cultivateurs, la fortune publique, et qui détruit plusieurs départements à la fois.

La Vendée a fait des progrès par les conspirateurs qui l'ont commencée, par les nobles qui les ont aidés, par les-prêtres réfractaires qui s'y sont mêlés, par le fanatisme des campagnes, la tiédeur des administrateurs, la trahison des administrateurs, par les étrangers qui y ont porté de l'or, des poudres, des armes et des scélérats; par les émigrés qu'on y vomit; par les parents de Pitt et de Grenville, qui en calculaient, qui en achetaient les progrès effrayants.

La Vendée a fait d'autres progrès par l'insuffisance des troupes envoyées, par le choix des généraux traîtres ou ignorants, par la lâcheté de quelques bataillons, composés d'étrangers de Napolitains, d'Allemands et de Génois ramassés dans les rues de Paris par l'aristocratie, qui nous a fait ce présent avec quelques assignats. Il y avait même dans les bataillons des émigrés que le glaive de la loi a puni.

La Vendée a fait de nouveaux progrès par l'envoi trop fréquent et trop nombreux de commissaires de la Convention, par l'armée trop nombreuse de commissaires du conseil exécutif.

La Vendée a fait de nouveaux progrès par l'insatiable avarice des administrations de nos armées, qui agiote sur la guerre, qui spécule sur les batailles perdues, qui établit ses profits sur les malheurs de la patrie, qui grossit ses trésors de la durée de la guerre, et qui contrarie les dispositions militaires pour en prolonger les bénéfices, et qui s'enrichit sur des monceaux de morts.

La Vendée a fait de nouveaux progrès par l'intelligence qui doit exister entre nos ennemis, entre nos départements rebelles, entre les Anglais, entre l'aristocratie et les complots obscurs de Paris, et ceux qui agissent dans nos armées.

La Vendée a fait les derniers progrès par la marche inégale de nos armées combinées, par l'esprit stationnaire de l'armée de Saumur, quand celle de Nantes avait une activité victorieuse; par la non organisation de l'armée de Niort, et l'inactivité que lui avait communiquée son premier général.

Comment nos ennemis n'auraient-ils pas porté tous leurs efforts, tous leurs projets sur la Vendée? C'est le cœur de la république; c'est là qu'est réfugié le fanatisme, et c'est là que. les prêtres, les cordons rouges, les cordons bleus et les croix de Saint-Louis élèvent ses autels ; c'est là que les émigrés, les puissances coalisées ont rassemblé les débris d'un trône conspirateur. C'est à la Vendée que correspondent les aristocrates, les fédéralistes, les départementaires, les sectionnaires ; c'est à la Vendée que se reportent les vœux coupables de Marseille, la vénalité honteuse de Toulon, les cris rebelles des Lyonnais, les mouvements de l'Ardèche, les troubles de la Lozère, les conspirations de l'Eure et du Calvados, les espérances de la Sarthe et de la Mayenne, le mauvais esprit d'Angers et les sourdes agitations de quelques départements de l'ancienne Bretagne.

C'est donc à la Vendée que nos ennemis devaient porter leurs coups.

C'est donc à la Vendée que vous devez porter toute votre attention, toutes vos sollicitudes; c'est à la Vendée que vous devez déployer toute l'impétuosité nationale et développer tout ce que la république a de puissance et de ressources.

Détruisez la Vendée, Valenciennes et Condé ne sont plus au pouvoir de l'Autrichien.

Détruisez la Vendée, l'Anglais ne s'occupera plus de Dunkerque.

Détruisez la Vendée, et le Rhin sera délivré des Prussiens.

Détruisez la Vendée, et l'Espagne se verra harcelée, conquise par les méridionaux joints aux soldats victorieux de Mortagne et de Cholet.

Détruisez la Vendée, et une partie de cette armée de l'intérieur ira renforcer l'armée du Nord, si souvent trahie, si souvent travaillée.

Détruisez la Vendée, et Lyon ne résistera plus; Toulon insurgera contre les Espagnols et les Anglais, et l'esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la révolution républicaine.

Enfin, chaque coup que vous porterez à la Vendée retentira dans les villes rebelles, dans les départements fédéralistes, dans les frontières envahies. La Vendée, et encore la Vendée, voilà le charbon politique qui dévore le cœur de la république française; c'est là qu'il faut frapper.

C'est là qu'il faut frapper d'ici au 15 octobre, avant l'hiver, avant les pluies, avant l'impraticabilité des routes, avant que les brigands trouvent une sorte d'impunité dans le climat et les saisons.

D'un coup d'œil vaste et rapide le comité a vu dans ce peu de paroles tous les vices de la Vendée : trop de représentants, trop de généraux, trop de division morale, trop de division militaire, trop d'indiscipline dans les succès, trop de faux rapports dans les récits des événements, trop d'avidité, trop d'amour de l'argent et de la durée de la guerre dans une grande partie des chefs et des administrateurs. Voilà les maux : voici les remèdes.

A trop de représentants, substituer un petit nombre, en exécutant rigoureusement le décret politique et salutaire qui défend d'envoyer des représentants dans leur propre pays, dans leur département.

Renouveler ainsi l'esprit de. la représentation nationale près les armées, c'est l'empêcher de s'altérer et de perdre de cette énergie, de cette dignité républicaine qui fait sa force; c'est rompre des habitudes toujours funestes; c'est éloigner des ménagements personnels presque inséparables désaffections locales.

Ainsi, quatre représentants suffiront, dans l'armée agissante contre, la Vendée, pour embrasser toute la surveillance des opérations. Il n'y a rien d'injurieux, rien de douteux dans cette nouvelle nomination des représentants. Le comité connaît trop les travaux immenses qu'ont faits à Nantes, à Saumur, à Tours, à Angers, les représentants qui y sont dans le moment, pour établir ce genre d'ingratitude à la place des marques de satisfaction qu'ils méritent; mais les nouvelles combinaisons prises par le conseil exécutif provisoire et par le comité, pour une armée unique contre la Vendée, n'exigeront plus que quatre représentants.

A trop de généraux succédera un seul général en chef d'une armée unique; c'est là le moyen de donner de l'ensemble aux divisions militaires, de l'unité aux moyens d'exécution de l'armée, de l'intensité au commandement, et de l'énergie aux troupes.

Deux chefs marchaient contre la Vendée; deux chefs appartenaient aux deux armées des côtes de Brest et de La Rochelle; de là point d'ensemble, point d'identité de vue, de pouvoir, d'exécution. Deux esprits dirigeaient deux armées, quoique marchant vers le même but; et il ne faut à l'armée chargée d'éteindre la Vendée qu'une même âme, qu'un même esprit, qu'une même impulsion. La force des coups (pu doivent être portés aux brigands dépend beaucoup de la simultanéité et de l'ensemble de ceux qui frappent, et de l'esprit uniforme qui les meut. Les généraux sont exposés à avoir plus de passions, et des passions plus actives que les autres hommes. Dans l'ancien comme dans le nouveau régime, l'amour-propre excessif, une ambition exclusive de la victoire, un accaparement de succès, sont inséparables des mouvements de leur cœur ; chacun, comme Scipion l'Africain, voudrait être Scipion le Vendéiste; chacun voudrait avoir éteint cette guerre civile; chacun voudrait avoir renversé le fanatisme et exterminé les royalistes. Ambition généreuse sans doute, et digne d'éloges, mais c'est lorsqu'elle n'est pas personnelle, mais c'est lorsqu'elle n'est pas exclusive, mais c'est lorsqu'elle ne tourne pas à la perte de la république. Soyez Tiers de vos succès, généraux de la république, mais ne soyez ni jaloux, ni ambitieux personnellement.

Soyez jaloux de servir mieux qu'un autre la république, soyez ambitieux de la sauver, soyez ambitieux de la gloire générale et de la renommée de la pairie; il n'est que cette passion qui peut vous sauver ou vous rendre célèbres.

Il est des hommes, cependant, qui font de l'art affreux de la guerre un vil métier, une spéculation mercantile, et qui ont osé dire : Il faut que cette guerre dure encore deux ans... Citoyens, serait-ce donc un patriotisme que le droit de faire égorger ses semblables ? serait ce une spéculation vénale que celle de conduire ses concitoyens à l'honneur de la victoire ? serait-ce à la merci de généraux, de soldats heureux, que nous pourrions laisser ainsi le sort de la république, la destinée de vingt-sept millions d'hommes et la dépense de la fortune nationale ?

Pardonnez cette légère digression, elle a été commandée par le sujet. La jalousie des généraux a fait plus de mal encore à la France que les trahisons.

Désormais un seul général en chef commandera l'armée active contre la Vendée. Pour y parvenir, il a fallu faire un nouvel arrondissement pour cette armée. La ville de Niort, celle de Saumur, celle de Nantes ne formeront plus désormais qu'une seule armée; elle sera augmentée en territoire de tout le département qui contient Nantes, du département de la Loire-Inférieure. Celte armée portera le nom d'armée de l'Ouest.

Il a fallu trancher ces deux divisions, armée des côtes de Brest, armée des côtes de La Rochelle, et n'en former qu'une seule, pour y adapter un général nouveau. C'est au conseil exécutif provisoire à présenter sans délai à votre approbation un général en chef reconnu par son audace et par son patriotisme; car il ne faut que de l'audace contre des brigands, des prêtres et des nobles ; ils sont lâches comme le crime; ils n'ont de force que celle que donne le fanatisme royaliste et religieux. Opposons leur, non le fanatisme de la liberté, le fanatisme ne convient qu'à la superstition et au mensonge; mais opposons-leur l'énergie des républicains et I enthousiasme que la liberté et l'égalité impriment à toutes les âmes qui ne sont pas corrompues.

Depuis que l'art de la guerre a obtenu une grande perfection, il est de principe qu'il faut, pour avoir des succès, faire la guerre avec de grandes masses ; c'est cet art militaire qui fait qu'on se lève en masse pour la victoire. — « Dieu, disait un guerrier fameux du Nord, Dieu se met toujours du côté des gros bataillons... »

Pourquoi la liberté, qui est la divinité que nous servons, ne suivrait-elle pas cette tactique? Pourquoi nos généraux divisent-ils, gaspillent-ils, disséminent-ils sans cesse nos forces au lieu de les réunir, de les employer par grandes et imposantes parties ? L'exemple des succès de la réunion des forces a été si souvent donné; espérons qu'enfin il va être suivi dans la Vendée.

L'indiscipline est le plus grand fléau des armées; elle désorganise la victoire, elle, paralyse les succès, elle, intercepte la défense, elle fournit l'arme la plus favorable aux ennemis; aussi ils n'ont pas oublié de l'employer.

Quant aux nouvelles exagérées, aux faux rapports sur les événements de la Vendée, le comité a, non pas à se reprocher, mais à gémir sur les fausses relations que sa correspondance lui a données sur quelques événements militaires, entre autres sur celui qui annonçait, du côté de Saumur, que Mortagne et Cholet étalent pris, que vingt mille brigands avaient mordu la poussière, et qu'il n'en restait plus que cinq mille.

Qu'ils sont imprudents et coupables ceux qui trompent ainsi le législateur, et qui créent ou trop de terreur par des revers exagérés, ou trop de confiance par des succès mensongers! Le comité a les yeux ouverts sur les hommes qui, au milieu des départements arrosés par la Loire, écrivent des faussetés de ce genre, et il les dénoncera aux tribunaux comme agents indirects de contre-révolution. Celui qui trompe sciemment la Convention nationale sur des événements militaires, dans un moment où toutes les âmes sont ouvertes à toutes les impressions, où l'inquiétude publique-est exaspérée et peut avoir des résultats fâcheux; de pareils hommes, dis-je, sont répréhensibles et seront désormais punis.

Il ne reste plus qu'un mot à dire sur la Vendée, et ce mot est l'encouragement national à tous ceux qui, dans cette campagne, chasseront tous les brigands intérieurs ou étrangers, car c'est la même famille.

Un décret porte que le traitement des généraux sera gradué sur le nombre des campagnes qu'ils auront faites. Oh! combien il eût été plus humain, plus philosophique, plus révolutionnaire, de décréter un maximum décroissant pour le nombre des campagnes! combien celte mesure aurait accéléré les guerres! Rarement les généraux les terminent; les artistes ne ruinent pas leur art; ce sont les peuples qui paient la guerre de leur or, de leurs travaux et de leur sang, qui finissent les guerres. Ce sont les républiques qui aiment la paix, ce sont les républiques qui favorisent la population et l'industrie, et non la guerre qui détruit tout, jusqu'aux vertus, jusqu'à la sainte humanité.

Eh bien ! c'est nous qui donnerons une plus grande récompense à ceux qui auront le plus abrégé la durée de la guerre. Décrétons que la reconnaissance nationale attend l'époque de la fin de la campagne pour décerner des honneurs publics et des récompenses aux armées et aux généraux qui auront le plus concouru à terminer cette guerre.

Que les aristocrates, qui se réjouissent impunément de nos revers et quelquefois de la mauvaise exécution des lois révolutionnaires, qui ne les atteignent pas autant qu'ils le méritent; que les aristocrates et les modérés ne voient pas dans cette annonce solennel le besoin de voir terminer la guerre: ils n'ignorent pas que les émigrés seuls ont donné, pour aliment a la sainte guerre que nous leur faisons, 6 milliards de valeur territoriale ou mobilière ; que les rebelles de Lyon, de Toulon, de Marseille, de la Vendée, et les conspirateurs de tout genre viennent grossir de leur sang la fortune publique; ils n'ignorent pas sans doute qu'une nation qui remplit ses villes de manufactures d'armes, et qui couvre ses frontières de six cent mille jeunes citoyens avec un décret de deux lignes, est une nation qui ne craint ni l'Europe, ni ses tyrans.

II faut que le général d'une république voie, après l'honneur de la victoire, la patrie lui prodiguant des honneurs et des récompenses. Nous faisons des lois pour des hommes et non pour des dieux. N'obéissons pas à leur avarice, mais soyons reconnaissants ; ne servons pas leur vanité, mais ouvrons enlia le trésor inépuisable qui, chez les Français, contient le germe de toutes les vertus, la monnaie de la gloire civique.

Le comité a pris des mesures, ces deux jours, pour l'état-major de l'armée révolutionnaire de l'Ouest et pour la marche à suivre. L'état-major est épuré de nobles, d'étrangers et d'hommes suspects.

Ce travail a pour principal objet l'action du gouvernement et l'exécution des lois, la concentration du pouvoir national dans la Convention, le jeu et la circonscription des autorités constituées.

Ce travail réduira à deux, dans chaque armée, les représentants du peuple.

Ce travail aura pour objet le retour des autres représentants du peuple dans les départements.

Ce travail ramènera dans la main de la Convention des pouvoirs trop disséminés ; il rétablira dans un seul point l'autorité nationale. C'est à l'entrée de l'hiver, c'est à la (in de la campagne que la Convention doit reprendre toute l'activité, toute l'énergie et toute la pensée du gouvernement.

Le comité s'est occupé des mesures qui peuvent accélérer la destruction de la Vendée, et ces mesures peuvent être puissamment secondées par une proclamation simple et courte à la manière des républicains.

C'est à la Convention à commander cette fois le sein plan de campagne qui doit être exécuté dans la Vendée, celui qui consiste à marcher avec audace vers les repaires des brigands.

La Convention doit donner à toute l'armée révolutionnaire de l'Ouest un rendez-vous général, d'ici au 20 octobre, à Mortagne et à Cholet. Les brigands doivent être vaincus et exterminés sur leurs propres foyers. Semblables à ce géant fabuleux qui n'était invincible que quand il touchait la terre, il faut les soulever, les chasser de leur propre terrain pour les abattre.

Non, la Convention ne laissera pas sans gloire et sans récompense l'armée et le général qui auront terminé l'exécrable guerre de la Vendée.»

Source: L'Ancien Moniteur, Tome XVIII, 1847

Ce rapport ne laisse planer aucun doute sur les desseins du pouvoir central : il s'agit bien de détruire, d'anéantir, d'exterminer, par le fer et le feu. Barère le tribun veut faire de la Vendée un exemple pour la France et les nations frontalières. La Vendée est « le charbon politique qui dévore le cœur de la République Française ; c’est là qu’il faut frapper. » Résoudre la question vendéenne, dit-il en substance, permettra de libérer des effectifs militaires pour les guerres extérieures et de rétablir l’ordre à l'intérieur, notamment à Lyon, et de décourager toutes velléités ultérieures de rébellion.

La Convention proclame :

« Il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d’octobre ; le salut de la patrie l’exige ; l’impatience du peuple français le commande, son courage doit l’accomplir. La reconnaissance nationale attend, à cette époque, tous ceux dont la valeur et le patriotisme auront affermi, sans retour, la liberté & la République. »

(Ibidem) 

Texte de la loi:

Article 1er.

Le département de la Loire-Inférieure demeure distrait de l'armée des côtes de Brest, et est réuni à celle des côtes de la Rochelle, laquelle portera désormais le nom d'armée de l'Ouest.


Article 2.

La Convention nationale approuve la nomination du citoyen Léchelle, général en chef nommé par le conseil exécutif pour commander cette armée.


Article 3.

La Convention nationale compte sur le courage de l'armée de l'Ouest et des généraux qui la commandent pour terminer d'ici au 20 octobre l'exécrable guerre de la Vendée.


Article 4.

La reconnaissance nationale attend l'époque du premier novembre prochain pour décerner des honneurs et des récompenses aux armées et aux généraux qui dans cette campagne auront exterminé les brigands de l'intérieur, et chassé sans retour les hordes étrangères des tyrans de l'Europe.

Source : Guillaume Lallement, Choix de rapports, opinions et discours prononcés à la tribune nationale, Tome XIII,1820

Crédit photo Pierre-Narcisse Guérin - Henri de la Rochejacquelein

Crédit photo Pierre-Narcisse Guérin - Henri de la Rochejacquelein

L’Armée Catholique et Royale est anéantie à la fin de l’année 1793 lors de la funeste Virée de Galerne – à laquelle ne participent pas Charette et ses hommes de l'Armée du Marais. 

Le Général Turreau dépêché par le pouvoir central met au point un plan visant à quadriller la Vendée Militaire par douze colonnes incendiaires, les « Colonnes Infernales » de sinistre mémoire, afin d’exterminer hommes, femmes, enfants et vieillards, incendier villages et forêts, saisir récoltes et bestiaux après avoir en principe évacué les populations neutres et patriotes. Mais des documents d'archives prouvèrent que ce ne fut pas toujours le cas, et que les exécutants du Comité de Salut Public devenu paranoïaque opérèrent de manière souvent indiscriminée.

Certaines colonnes, commandées par des généraux moins fanatiques que d’autres, limitent les exactions, mais la plupart de ces colonnes détruisent tout, aveuglément, sur leur passage. Les incendies, pillages, viols, tortures, massacres coûtent la vie à des dizaines de milliers de personnes. Les Guerres de Vendée occasionnent au total 200 000 morts, dont environ 40 000 dans le seul département de la Vendée.

Longtemps après, on retrouve notamment aux Epesses, des squelettes, parfois d’enfants, voire de bébés, des restes calcinés dans des fours à pain, ce dont attestent les archives. Des lettres conservées, émanant de citoyens pourtant gagnés par la cause républicaine font état de ces exactions dont ils s'indignent par écrit auprès de la Convention "Il faut que cela cesse", plaident-ils dans un courrier cité par Philippe de Villiers (lien en fin d'article). Sur tout le territoire, on rapporte aussi que des hommes, des femmes et des enfants furent jetés au fond des puits.

Aux Lucs-sur-Boulogne 564 habitants sont massacrés le 28 février 1794. Ils sont regroupés dans l’église qui est ensuite incendiée. Le recteur, qui se proposait en sacrifice afin d’épargner la population, est sauvagement torturé avant de périr lui aussi dans l'incendie. Un autre prêtre réussit à s’échapper et peut ainsi noter les noms de ces martyrs, qui figurent aujourd'hui sur une plaque apposée dans la chapelle du Petit-Luc.

Entre décembre 1793 et février 1794 sont organisées les noyades de Nantes, de triste mémoire, sous la supervision de Jean-Baptiste Carrier. Ces exactions qui touchent des femmes, des enfants et des personnes âgées ont souvent été évoquées comme des dommages collatéraux de la lutte révolutionnaire. Mais il convient de se rappeler que Carrier, ancien procureur à Aurillac, devenu député du Cantal à la Convention, missionné en diverses occasions pour réprimer des révoltes en Normandie, puis à Rennes, est dépêché à dessein à Nantes pour faire cesser la révolte vendéenne par les moyens les plus extrêmes.  D'autres fusillades retentissent à Nantes encore, à Avrillé, et en maints autres lieux. La guillotine est constamment à l'oeuvre sur la Place du Bouffay dans la cité ducale.

Nombre de chefs vendéens tombent sous le feu de l’armée républicaine, notamment Henri du Vergier de la Rochejacquelein le 28 janvier 1794, tandis qu'il est général en chef de l'Armée Catholique et Royale.

Souvenons-nous de ce jeune homme âgé de seulement 21 ans quand il fut tué :

C'était un jeune homme assez timide, et qui avait peu vécu dans le monde; ses manières et son langage laconique étaient remarquables par la simplicité et le naturel; il avait une physionomie douce et noble; ses yeux, malgré son air timide, paraissaient vifs et animés; depuis, son regard devint fier et ardent. Il avait une taille élevée et svelte, des cheveux blonds, un visage un peu allongé, et une tournure plutôt anglaise que française. Il excellait dans tous les exercices du corps, surtout à monter à cheval.

(Mémoires de Madame de la Rochejacquelein)

Ses paroles simples et émouvantes résonnent en nous, encore aujourd’hui, au moment où il rejoint les paysans pour la première fois :

M. de La Rochejaquelein parut le matin à la tête des paysans, et leur dit ces propres paroles :« Mes amis, si mon père était ici, vous auriez confiance en lui. Pour moi, je ne suis qu'un enfant; mais par mon courage je me montrerai digne de vous commander. Si j'avance, suivez-moi; si je recule, tuez-moi; si je meurs, vengez-moi.» On lui répondit par de grandes acclamations.

(Ibidem)

 

Vaincre ou Mourir évoque, en silence, car l'horreur dépasse les mots, ces exactions de la fin 1793 et du début de 1794, auxquelles répond un sursaut de combativité et d’ardeur dans les rangs vendéens.

L’armée conduite par Charette se regonfle de paysans, qui se réfugient à ses côtés après les massacres indiscriminés commis par les Bleus.

Un émissaire républicain de noble extraction, Bureau de la Batardière, est dépêché par la Convention pour initier des négociations en vue d’un traité de paix. Les Républicains auraient ainsi tenté de jouer sur une corde sensible en l’irréductible et endurci Charette dont le fils Louis-Athanase est mort en bas-âge. Les négociateurs auraient fait miroiter une clause confidentielle – la remise aux troupes vendéennes de Louis XVII, le dauphin arraché à sa famille durant la tourmente révolutionnaire. La clause secrète ne figure pas pour cette raison par écrit sur les documents aujourd'hui conservés.  Charette, malgré le scepticisme de ses lieutenants qu’il n’a pas informés préalablement, accorde confiance à ses interlocuteurs et accepte de signer le Traité de La Jaunaye le 17 février 1795.

Mais c’est une paix de dupes, car Ruelle, député de la Convention, à l’origine de ces négociations confiées par le Comité de Salut Public, écrit à Charette quelques temps après plus tard pour l’informer de la mort de Louis XVII.

Aussitôt, en mai, le jeune général vendéen reprend les armes, rendant le traité de paix caduque. Louis XVIII en exil le nomme généralissime de l’Armée Catholique et Royale.

Mais les actions tournent au désastre, et l’armée vendéenne est exsangue.

Les émigrés nobles français et les Britanniques échouent à débarquer à Quiberon le 27 juin 1795 comme prévu, notamment en renfort des Vendéens. Le débarquement se solde par la capture, par l’armée de l’Ouest, de 2662 émigrés et 5000 Chouans, dont certains sont exécutés aux Halles d’Auray et à Vannes, tandis que femmes, enfants, vieillards et civils sont relâchés.

Cette action sous la houlette de Joseph de Puisaye avait été rendue possible grâce à l’aide de l’Angleterre, où nombre d’intellectuels et hommes politiques, tel Edmund Burke, homme d’état et philosophe (in :Reflections on the Revolution in France) expriment leur inquiétude face aux événements sanglants de France et à la contagion des idées révolutionnaires sur le sol britannique.   

Ennemie de la France depuis février 1793, l’Angleterre soutenait les aristocrates français présents en ses frontières depuis le début de la tourmente. L’organisation logistique de cette opération visait effectivement à prêter main forte aux Vendéens pour renverser le pouvoir révolutionnaire et à rétablir la monarchie.

L'échec de ce débarquement porte un coup funeste aux royalistes.

Le général Hoche mène une politique pragmatique à la fois de répression mais aussi de conciliation dans tout l’Ouest, qui conduit progressivement à un apaisement dans les mouvements chouans qui perdurent toutefois plus longtemps, mais amène les mouvements vendéens à s’éteindre.

Malgré l'échec de Quiberon, un autre débarquement est prévu sur les côtes vendéennes, emmené par le comte d'Artois - futur Charles X. La flotte s'empare aisément de l'Ile d'Yeu le 2 octobre 1795, mais toute tentative d'aborder ultérieurement vers St Jean de Monts échoue pour de multiples raisons : omniprésence de Hoche et de postes armés républicains, courriers interceptés, rivalités internes à la Vendée militaire et à la Bretagne, affaiblissement de l'armée de Charette, conditions météorologiques adverses. Artois reste retranché sur sa base arrière à Yeu, tandis que le comte Grignon de Pouzauges aborde vers la Tranche et remet à Charette, amèrement déçu, une épée d'honneur de la part du comte d'Artois. Sur la lame est gravée une devise : "Je ne cède jamais". Le film rend magnifiquement compte de cette scène désespérée où Charette, humilié par ceux-là même qu'il entend servir, se sent désormais privé de réel soutien.  

Ses plus proches lieutenants sont tués, d’autres font défection, mettant un point d'honneur à se voir délivrés, par Charette lui-même, du serment de fidélité scellé à Fonteclose. Le généralissime est traqué, contraint de se cacher en compagnie de ses derniers compagnons d’armes.

Quand tout est perdu, Charette intime à ses proches de fuir pour se sauver. Dans les bois de la Chabotterie, le fidèle Pfeiffer tente une diversion en coiffant le tricorne à panache blanc désormais célèbre dans toute la région. Il est abattu, tandis que Charette, blessé, est arrêté ce 23 mars 1796 par le général Jean-Pierre Travot, qui reconnaît son héroïsme. « Tant d’héroïsme perdu », souffle à mi-voix l’officier républicain à l’oreille du noble vendéen. « Rien ne se perd jamais» réplique Charrette.

Cette scène dramatique est rapportée par Philippe de Villiers dans sa biographie de Charette. Elle reste, grâce au jeu des deux acteurs alors en présence, une des plus belles scènes, les plus poignantes du film.

Même si certaines recherches tendent à révéler que Travot, qui menait la traque de l'irréductible vendéen, ne fut pas l'auteur de l'arrestation en elle-même, mais se trouva face-à-face de Charette peu après, gageons que la rencontre des deux hommes marque les esprits.

François-Athanase Charette de la Contrie, 32 ans, est fusillé sur la place Viarme à Nantes, le 29 mars 1796.

On lui accorda le droit de commander lui-même le peloton d’exécution lors de l’action finale. Aujourd’hui encore, une marque sur un dallage signale l’endroit exact où il tomba sous les balles, touché au cœur.

Crédit photo Le Puy du Fou Productions - Hugo Becker et Gregory Fitoussi dans Vivre et Mourir

Crédit photo Le Puy du Fou Productions - Hugo Becker et Gregory Fitoussi dans Vivre et Mourir

La Vendée est la mauvaise conscience de la Révolution

Philippe Pichot-Bravard, historien

Guerre civile, génocide, amnésie mémorielle ?

Reynald Sécher observe que la notion de guerre civile n'est pas totalement appropriée, dans la mesure où ce concept implique la lutte de deux composantes de la population l'une contre l'autre, et qui commettent des exactions de part et d'autre. Mais ici des Français ont combattu d'autres Français, conformément à un plan préalable décidé au sommet de l’Etat.

Même s'il convient de toujours manier le terme de génocide avec précautions, force est de constater qu'il s'agit, tout comme le Génocide arménien de 1915, d'une extermination planifiée en haut lieu, à l'encontre d'une région entière, d'une population entière que l’on entendait éradiquer. Le révolutionnaire Gracchus Babeuf, pourtant communiste avant la lettre, n’a-t-il pas parlé de « dépopulation », de « populicide » au sujet de la Vendée ? Il s'agit bien de cela ici. 200 000 tués, de manière souvent atroce, brûlés, massacrés et dans la plupart des cas, sans sépulture, par des exécutants du pouvoir central emportés par l'ivresse de la destruction systématique. Notons que la Vendée militaire compte, à l'époque, environ 600 000 habitants sur une France peuplée de 26 millions d'âmes.

Soljenitsyne, venu en Vendée en 1993 à l'occasion du Bicentenaire, a fait remarquer que Lénine, dans ses discours ou ses écrits, a souvent cité la Vendée - Lénine avait lui-même séjourné à Pornic en 1910 - en exemple de contre-révolution magistralement réprimée. L'expression "vendéiste", utilisée dans le discours de Barère cité plus haut, a plusieurs fois trouvé sa place dans le discours du révolutionnaire russe. N'a-t-on pas observé dans ce contexte, avec Soljenitsyne et les historiens de la Vendée, que la Révolution de 1789 était la matrice des révolutions futures, et la Vendée  la matrice des génocides du 20eme siècle ?

Reynald Sécher a parlé à juste titre de « mémoricide », car l’absence fréquente de traitement, ou le flou entourant les Guerres de Vendée, est le signe d’une amnésie volontaire révélatrice d’un embarras de la perception du fait révolutionnaire. Le grand tournant dans les recherches historiques au niveau universitaire s'est produit, selon l'historien, en 1985. Reynald Sécher a alors commencé sa thèse de doctorat sous la direction de Jean Meyer, en explorant l'hypothèse génocidaire, à partir de recherches documentaires dans son propre village, la Chapelle-Basse-Mer. Il a observé – et nous observons désormais – que les documents historiographiques ont pu être élaborés à partir d’archives municipales, paroissiales, voire familiales qui ont permis des recoupements et des extrapolations à l’échelle d’un territoire qui couvrait environ 10 000 km2.

En cela, Vaincre ou Mourir, film captivant et bouleversant, servi par le jeu des acteurs et l’exaltation honnête et sobre de vertus en voie de disparition, a attiré l’attention et l’intérêt du grand public sur des faits méconnus, tus par l'hagiographie révolutionnaire qui souvent perdure. Il a suscité chez nombre de spectateurs un intérêt pour les Guerres de Vendée, et permis de comprendre que les Vendéens de 1793 ne luttaient pas uniquement pour eux-mêmes, mais pour une idée plus haute, celle de la liberté du peuple français, liberté de pensée et de religion, liberté de conserver ses racines millénaires. 

Dans cet esprit, et plus largement, la diffusion de Vaincre ou Mourir permet tout simplement une lecture plus nuancée de la Révolution de 1789 dans son ensemble.